Dans le numéro d’axelle que nous bouclons au moment d’écrire ces lignes, Azélie Fayolle, chercheuse en littérature et spécialiste des écrits féministes, formule ceci : « La littérature ne sert pas à transformer le monde : elle nous transforme, nous, pour nous préparer à le faire. »
Pourrait-on dire la même chose du journalisme ? L’adaptation donnerait : « Le journalisme ne sert pas à transformer le monde : il nous transforme, nous, pour nous préparer à le faire. »
J’aime cette idée. Elle allège la petite enclume de responsabilité qui me courbe parfois sur mon clavier. Elle est habitée, sensible, elle dit l’importance de transformer ce monde, et place les responsabilités à un endroit juste : ce n’est pas au journalisme directement, mais à « nous » de le faire.
Qui est nous ? Lecteurs et lectrices, personnes, collectifs, institutions, pièces du grand puzzle écosystémique des magazines qui composent Kiosque, depuis l’humus des bois où frémissent nos feuilles en passant par le siège du tram où nous sommes lus, aux conversations où nous sommes évoqués, aux réseaux sociaux où nous sommes partagés, jusqu’au recyclage papier où… ah, si, nous prenons une nouvelle forme.
L’enclume levée, je suis libre de courir dans les bois. Je flaire avec ma curiosité retrouvée différentes pistes, des bouts d’histoire peut-être, intrigantes. Certaines traces se ressemblent, mais elles ne remontent pas toutes à la même source. Je veux les suivre, ces traces, jusqu’à leur jaillissement, les distinguer, parler avec elles (et non « les faire parler », ce n’est pas un interrogatoire), et pourquoi pas, qu’on fasse un bout de chemin ensemble. Qu’on papote.
Se laisser guider par sa curiosité, bavarder avec les traces, les indices et les sources, ce serait impossible avec une enclume sur le dos, évidemment. On aurait le souffle coupé.
« Le premier mérite d’un journaliste est d’être curieux ; son devoir ensuite est d’être bavard. Or ceux-là mêmes qui doutaient de la réussite de La Fronde [l’un des premiers journaux féministes français, créé en 1897] n’affirment-ils pas à qui peut l’entendre que les deux pires défauts des femmes sont : la curiosité et le bavardage. Défauts dans la vie privée ? Peut-être. En tout cas qualités quand on doit par profession renseigner ses contemporains. » (André Tesser, cité par Sandrine Lévêque). Défauts ou qualités, arrimés, quoi qu’il en soit, à une solide déontologie.
Heureusement, en somme, qu’on ne doit pas sauver le monde – contrairement à vous !
Pour le collectif, Sabine Panet (axelle mag)
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