Développement de l'enfant

Le consentement à hauteur de parents

Aborder le consentement avec ses enfants va bien au-delà de la seule sphère intime et sexuelle. Dès les premières années, il façonne le respect des limites, l'autonomie et la compréhension du corps. Mais dans la parentalité, le sujet fait encore parfois débat.

À hauteur d’enfant, consentir, c’est avant tout être d’accord. Être d’accord avec ses limites et celles de l’autre. Ce qui n’est pas seulement propre à la vie intime et sexuelle. On peut consentir à jouer avec un copain, mais ce n’est pas parce qu’on lui a dit oui une fois qu’on veut s’amuser avec lui tout le temps. En dehors des notions de respect ou de confiance en soi qu’il peut introduire, aborder le consentement avec les petit·es révèle également une marque d’affection.
« L’enfant a un corps qui lui est propre, et même s’il ne faut pas poser la question du consentement avant chaque geste, il faut éviter le ‘forçage’, souligne Patrick Petitjean, psychologue au Groupe Santé Josaphat. Vérifier de temps en temps qu’il y a un accord implicite, ça participe d’une volonté sincère d’amour entre parents et enfants. »
Au Groupe Santé Josaphat, on organise des groupes de parole entre parents qui rassemblent le plus souvent des populations fragilisées. « Vu notre implantation, les parents qu’on reçoit sont généralement issus d’autres cultures et se retrouvent confrontés à un modèle occidental où la place et les droits de l’enfant sont bien plus valorisés, poursuit le psychologue. Pour construire l’échange, on part toujours de leurs questionnements, et, sans en faire une thématique à part entière, on observe que le consentement revient régulièrement en filigrane de nos discussions. Cette notion n’est pas un acquis : certains parents se posent la question de la nécessité du consentement, par exemple, en matière de règles à la maison, d’autres ne font pas de l’éducation au consentement leur priorité, notamment les mamans solos, parce qu’elles ont à gérer seules des familles nombreuses en parallèle de leur vie professionnelle et de toutes les tâches qui leur incombent ».
Parmi les autres acteurs qui souhaitent sensibiliser au consentement, la jeune asbl Educonsent mène des animations, principalement dans le milieu scolaire, mais également dans des organisations de protection de la jeunesse, chez des scouts ou encore avec des parents.
« Dans les écoles, sous forme de jeu, de débat ou de séance questions-réponses, nous abordons le consentement en deux volets, indique Romane Sauvage, co-fondatrice d’Educonsent. Avec les 11-14 ans, on parle surtout du consentement propre ; avec les 15-18 ans, du consentement sexuel. Plus globalement, notre but est de faire comprendre pourquoi il est essentiel d’informer sur le consentement dès le plus jeune âge, notamment si on veut réduire le nombre de violences sexuelles qui entachent encore notre société. »

Le grand méchant mot

Ce sont entre autres des chiffres révélés par Amnesty International en 2020 qui ont poussé les trois jeunes femmes derrière Educonsent à s’organiser en association. Même dans une société post mouvement #MeToo où la parole s’est libérée sur les affaires de viols et d’agressions sexuelles, invitant par la même occasion la notion de consentement dans le débat public, selon Amnesty, pour un tiers des jeunes, il reste normal d’insister pour avoir des rapports sexuels.
Educonsent reçoit de plus en plus de demandes provenant de parents. « Il ne faut pas oublier que ça reste assez récent comme sujet de société. Les parents ne savent pas toujours exactement ce que le consentement signifie. Ce terme leur fait peur parce qu’on entend directement ‘consentement sexuel’. Pourtant, c’est une notion bien plus large qu’on peut travailler avec ses enfants même lorsqu’ils sont petits ».

« Il est capital d’informer sur le consentement dès le plus jeune âge, notamment si on veut réduire le nombre de violences sexuelles qui entachent encore notre société »
Romane Sauvage

Co-fondatrice d’Educonsent

Pour ses animations, Educonsent utilise toujours six critères que l’asbl considère comme étant à la base même du consentement, qu’il s’applique à l’emprunt d’un jouet ou à une relation sexuelle : libre, éclairé, conscient, enthousiaste, réversible et spécifique. « Avec les parents, on part aussi de ces critères pour proposer des exercices pratiques avec les enfants », poursuit Romane Sauvage.
Demander si son bambin est d’accord dans diverses situations du quotidien, respecter sa réponse tout en respectant ses limites en tant que parent, faire usage des cinq sens et expliquer à l’enfant que s’il écoute vraiment son corps, il sait si ça lui fait oui ou si ça lui fait non. « Donner à l’enfant l’opportunité d’exercer son consentement dès le plus jeune âge, c’est lui faire comprendre quelle est sa bulle, son intimité, mais aussi celle de l’autre », insiste-t-on du côté d’Educonsent.

Éduquer au consentement

Chatouillés, câlinés, embrassés, même lorsqu’ils expriment leur refus, les enfants sont considérablement touchés. Des gestes qui partent d’une bonne intention, mais qui révèlent l’ascendant que les plus grand·es exercent sur le corps des plus petit·es. Dans Childhood and Sexuality, publié en 1982, la professeure britannique d’études féministes Stevi Jackson soulignait déjà que « l’enfance est non seulement un statut social, mais un faible statut social. Prenons par exemple la fréquence à laquelle les enfants sont touchés par les adultes. La quantité de contacts physiques non sollicités qu’une personne reçoit est un bon indicateur de sa position sociale relative. Il a été observé que les patrons touchent les travailleurs, les hommes touchent les femmes, les adultes touchent les enfants, beaucoup plus que le contraire ».
Cet extrait, Lolita Rivé, professeure de l’équivalent de notre 2e primaire en banlieue parisienne, le cite dans son podcast C’est quoi l’amour, maîtresse ? « Bien sûr, il ne faut pas demander son consentement à un enfant pour l’attraper par le bras s’il traverse la rue à toute allure. Mais quand il exprime un refus, on doit l’entendre et le respecter. Parce que si ses propres parents ou sa famille ne considèrent pas son ‘non’, comment peut-il comprendre que sa parole a de l’importance aujourd’hui, mais aussi plus tard dans sa construction ? ».
Avec sa petite fille de 2 ans, Lolita Rivé se refuse catégoriquement de la forcer à quoi que ce soit qui se rapporte à son intimité : « Je ne veux pas planter cette graine en elle et qu’elle croie que si un adulte la force à faire quelque chose, c’est que c’est pour son bien et que les autres peuvent aussi le faire. Je lui explique régulièrement le consentement sans poser des mots compliqués. Dès que je la vois se tripoter à la sortie du bain par exemple, j’en profite pour lui dire : 'Ça, c’est ta vulve, et personne d’autre que toi ne peut la toucher. Si ça t’arrive, il faut que tu en parles à maman ou à quelqu’un'. »
Depuis qu’elle a commencé à enseigner, elle observe chez ses élèves des réflexions sexistes ou homophobes, voire des agressions, mais elle a aussi remarqué qu’ils étaient assez ignorants sur le fonctionnement de leur corps. Pour tenter d’y remédier, elle a initié des séances d’Évras dans sa classe. C’est là qu’elle a eu l’idée d’amener un micro pour documenter son projet. Le troisième épisode de sa série sonore traite justement de la question du consentement.
« Je voulais aborder le sujet pour apaiser les relations entre mes élèves, mais j’ai aussi été frappée par les statistiques sur les violences que subissent les enfants*. Les violences et le consentement sont un continuum, mais pour qu’un enfant conscientise qu’il vit des violences, il faut déjà qu’avant, on lui ait fait comprendre que sa parole a de la valeur, continue Lolita Rivé. En tant que prof, je pense que la priorité reste d’éduquer les parents. On a beau aborder ces sujets en classe, si lorsque les enfants rentrent à la maison, on ne respecte pas leur consentement, c’est la théorie et la pratique qui ne se rencontrent pas. »

* selon la Coordination des ONG pour les droits de l'enfant (CODE) et l’association Femmes de droit, 2 à 4 élèves par classe sont concernés par l’inceste en Belgique. C’est sans parler des autres formes de violences ou de celles qui se déroulent en dehors du cadre familial.

POUR ALLER + LOIN

À lire, à écouter

  • Mon corps m'appartient ! Respect, intimité, consentement, parlons-en (Nathan) : la psychothérapeute Isabelle Filliozat et sa fille Margot Fried-Filliozat, sexothérapeute, mettent en mots des éclairages essentiels pour aider les enfants à dire non et à faire respecter leur intégrité corporelle.
  • Tu seras un homme féministe mon fils ! (Marabout) : dans son manuel d’éducation antisexiste, Aurélia Blanc propose également des idées pour aborder le consentement, comme l’utilisation de contes célèbres. Par exemple, la princesse qui se fait embrasser par le prince pendant son sommeil : d’accord ou pas et pourquoi ?
C’est quoi l’amour, maîtresse ? : cinq épisodes hors-série du podcast Le Cœur sur la Table (Binge Audio).

EN COULISSES

Lorsque la rédaction du Ligueur vous a demandé dans un appel à témoins si vous aviez déjà parlé consentement avec vos bambins, plusieurs parents ont répondu par l’affirmative. « Je suis maman d'une petite fille de 26 mois et c'est une notion que je tente de lui faire comprendre depuis qu'elle est bébé, explique Florie Bertrand. Dès que l'occasion se présente, je lui explique qu'elle a le droit de ne pas vouloir faire un bisou ou d’être prise dans les bras par quelqu’un. Et ça vaut aussi pour moi. Il arrive qu'elle refuse, et si un proche ne respecte pas son refus, je suis intransigeante. Mais au moment du départ, si elle ne veut faire ni bisou, ni câlin, je lui demande de dire au revoir verbalement ou par un signe de la main. L’apprentissage du consentement et de la politesse peuvent aller de pair. Cela me semble primordial ».
Une autre maman semble interpellée : « C'est un sujet délicat pour moi, confie Noémie Renuart. Je mets un point d'honneur à ne pas obliger mon fils à donner un bisou pour dire bonjour. Je ne le force jamais à me donner des câlins non plus. Mais c'est parfois difficile à faire comprendre à certains membres de la famille. Comme si le consentement valait pour les autres, mais pas au sein de la famille. Il m'est arrivé de devoir obliger mon fils à faire un bisou pour dire merci. Je me suis vraiment sentie coupable, comme si je n'avais pas réussi à le protéger et à lui garantir le respect de son intégrité ».
Comme pour beaucoup d’enjeux liés à la parentalité, l’écart entre principes et réalité est parfois considérable. La plupart des parents ayant témoigné pensent qu’il est essentiel que leurs enfants comprennent qu’ils sont les seuls maîtres à bord concernant leur propre corps. D’autres parents ne semblent pas autant concernés par l’éducation au consentement. Peut-être parce qu’ils ne savent pas en quoi elle est utile dans la construction du respect de soi et de l’autre.

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