Vie pratique

Vie artistique et parentalité, un numéro d’équilibriste en continu

Sur scène ou en coulisses, le monde du spectacle est en mouvement perpétuel. Créer, produire, faire tourner, tout cela demande une énergie folle et une disponibilité de tous les instants. Et une fois le rideau tombé, la parentalité n’est pas toujours facile à concilier avec ces impératifs.

Dans chaque numéro du Ligueur, on vous livre à travers la rubrique « Tribu curieuse » des idées de sorties à faire en famille. Parmi nos propositions, très souvent, du théâtre, du cirque, de la chanson, des arts de la rue, des arts forains, etc. En rue, sur scène et en coulisses, on retrouve ainsi des centaines d’artistes, accompagné·es de technicien·nes et de toutes autres personnes nécessaires à la bonne tenue des spectacles. Parmi ceux-ci, celles-ci, se trouvent des parents.
Sans aucune surprise, de nombreux témoignages confirment que la vie familiale alimente régulièrement le processus créatif et artistique, tant les bouleversements sont nombreux pour celles et ceux qui deviennent ou redeviennent papas ou mamans. Sur scène, les artistes partagent souvent avec saveur et authenticité leurs couacs avec bébé, les moments de grande joie, leurs grands questionnements aussi. Mais une fois le rideau tombé, le public rentré chez lui et le matériel rangé, la « vraie » vie parentale n’est pas toujours simple à vivre, à gérer.
« Être artiste ou technicien·ne dans les arts de la scène ou de la rue et parent, c’est clairement un défi, explique Mylène, régisseuse et maman de deux enfants de 7 et 11 ans. C’est plein de contraintes, tout le temps. Et on les multiplie quand les deux parents travaillent dans ce milieu... et que les enfants font partie intégrante du spectacle. Quand on est en tournée ou en résidence, on s’en sort par la débrouille. Il faut gérer la logistique – merci les grands-parents hyper disponibles et toujours content·es d’avoir leurs petits-enfants ! -, mais aussi le suivi scolaire. Cette année, mes enfants sont à l’école, notamment parce que l’aîné voulait préparer le CEB avec ses copains, mais nous avons fait auparavant l’IEF, l’instruction en famille. Ce que nous allons refaire, parce que les enfants ont demandé à repartir avec nous sur les routes. »

Entre précarité, itinérance et système D

C’est à l’occasion d’un colloque organisé par Latitude 50, pôle des arts du cirque et de la rue, que cette réalité a été mise en avant. Tout comme celle de ces jeunes mères dont la maternité a bousculé la vie professionnelle. Avec courage, dignité et souvent une bonne dose d’humour, elles sont venues déposer leur histoire personnelle. Si elles ont choisi de raconter leurs difficultés du quotidien, de dire leur précarité, de dévoiler leurs souffrances, c’est avant tout pour faire avancer les choses.
Épuisement, rapport de force, culpabilité, discrimination, contraintes, isolement, système D… autant de mots qui sont revenus dans les échanges de ce colloque et qui attendent une réponse collective. « Je sais pertinemment que ces situations sont rencontrées par un grand nombre de femmes dans tous les secteurs d’activités, et particulièrement chez les travailleuses indépendantes, note Géraldine, artiste de cirque et maman d’un tout-petit. Mais la précarité des métiers du spectacle – même si la réforme du statut d’artiste apporte un léger plus – et l’itinérance donnent une dimension autre à la maternité. Allaiter à l’arrache entre deux prestations, être sur scène alors qu’on a accouché quinze jours ou trois semaines avant, ne pas oser refuser une offre parce que financièrement c’est intenable ou qu’on a peur de ne plus jamais être rappelée, tout ça, ce n’est pas normal. Nous avons choisi ces métiers souvent par passion, en sachant ce qu’est cette vie hors norme d’artiste ou de technicienne, mais la société ne peut pas nous laisser seules comme ça ».

Des réponses individuelles en attendant mieux

Si les pouvoirs publics et les politiques n’ont pas encore entendu ces messages, c’est en revanche le cas pour certaines structures du monde des arts, comme Latitude 50 (voir encadré) ou encore la compagnie MAPS. Cette dernière propose ainsi une offre appelée « Écosystème créatif », autrement dit des outils mis en place pour les artistes (logement et rémunération, par exemple), dont une résidence d’artistes enfants admis, avec une crèche adossée. Stéphanie Mangez, responsable du projet : « Ce système permet durant la semaine de résidence d’avoir des conditions plus propices à la création. Une chambre à soi, une rémunération, un enfant qui va à la crèche juste à côté, ça veut dire pas de charge mentale et c’est essentiel ».

« Nous avons choisi ces métiers souvent par passion, en sachant ce qu’est cette vie hors norme d’artiste ou de technicienne, mais la société ne peut pas nous laisser seules comme ça »

Loin de s’arrêter en si bon chemin, la compagnie MAPS milite pour l’adoption d’une « charte de recommandations à l’attention des institutions qui collaborent avec des artistes-parents » (des compagnies aux centres culturels, en passant par les lieux de résidence, les musées, etc.). Dans le projet de charte - à lire sur compagniemaps.com > écosystème créatif -, on retrouve des pistes de solutions concrètes, presque toutes faciles à mettre en place. Parmi celles-ci, désigner un·e reférent·e parentalité dans les différentes structures, accepter la pause allaitement, proposer du matériel de puériculture de base ou encore un coin poussettes, prévoir un budget spécifique garde d’enfants, planifier des créneaux de travail ou de scène plus larges et plus variés pour faciliter la vie de famille, prendre aussi en compte les vacances scolaires et les horaires d’école…

Visibiliser pour agir

« On espère bien sûr que cette charte va pouvoir être relayée auprès des pouvoirs publics et des politiques pour faire bouger les choses, souligne Emmanuel De Candido de la compagnie MAPS. Il faut aussi que le monde des arts prenne pleinement conscience de la situation, parce qu’il est à la ramasse sur ces questions autour de la parentalité. Depuis deux ans, les paroles d’artistes ont émergé, on a beaucoup réfléchi et travaillé sur ce sujet pour aboutir à la charte et se donner les moyens de changer le système. L’enjeu, c’est de sortir d’une logique d’individualisation pour aller vers une réponse collective en termes de conditions de travail. »
Prochaine étape ? La compagnie a fait part de son ambition de création d’un label « institution parent friendly ». « Pas juste un frigo et un fauteuil pour l’allaitement, précisent les artistes engagé·es. Ici, on parle de questions financières, de gestion familiale, de mobilité, de logistique pour permettre de travailler dans des conditions optimales. Et puis, en filigrane, il y a les questions de l’invisibilisation des artistes parents, en particulier des mères. Celles aussi autour du corps après la maternité. Le champ est vaste, beaucoup reste à faire encore ».

À lire, la rencontre avec Stéphanie Mangez : « Être mère et artiste, un défi »

POUR ALLER + LOIN

Latitude 50, une histoire de famille

Dans quelques mois, Latitude 50 offrira la possibilité à une famille de venir en résidence dans une jolie maison de la parentalité de 150 m², dotée de quatre chambres. À l’initiative de ce projet, on retrouve Olivier Minet, le directeur, interpellé et touché par des témoignages lors d’une conférence. « L’idée de la maison de la parentalité, c’est de faciliter le fait d’être artiste et parent. Ça passait donc par la création d’un logement. On a pu récupérer à Mouscron une ancienne concession automobile avec une ossature en bois, elle a été démontée et remontée ici, à Marchin, parce que le réemploi des matériaux, c’est aussi dans notre ADN ».
Loin de s’arrêter à offrir un logement adapté, la structure a poursuivi la réflexion pour donner une place à part entière aux enfants sur le site. « Si pour les crèches, c’est extrêmement compliqué, nous avons déjà un partenariat avec une école de la commune pour l’accueil en maternelle et primaire durant la semaine ou les deux semaines de résidence de leurs parents, souligne Alice Matterne, chargée de la gestion des résidences. On va aussi essayer de faire quelque chose avec nos voisins de l’École de cirque ou encore ajouter un menu enfant à notre bistro. Tout cela fait un ensemble qui permettra aux parents-artistes d’avoir du temps libéré pour la création et aux enfants de croiser d’autres enfants et de faire des découvertes ».
En attendant l’ouverture de cette maison de la parentalité – « en mai si je suis optimiste, en septembre pour l’ouverture de la saison 2024-2025 si je suis réaliste », selon Olivier Minet -, le pôle des arts du cirque et de la rue ne reste pas les bras croisés. En cas de besoin, les artistes et leurs familles sont accueilli·es dans des maisons de location dans les alentours. Parce que dans l’ADN de Latitude 50 coule aussi l’envie de participer activement à la vie locale, de quelque manière que ce soit.       

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